Réflexions sur l’avenir des mouvements de
solidarité : la Flottille de la Liberté, sans prendre la mer, a porté
au blocus de Gaza un coup qui conduira à sa désagrégation.
Ameer Makhoul
Menée à une époque de mondialisation de
la terreur d’Etat, l’entreprise officielle et internationale de
sabotage de la Flottille de la Liberté constitue un moment- clef dans
l’histoire du mouvement populaire mondial et de la solidarité entre les
peuples. Cette action met à jour l’inquiétante étendue de la coopération et de
la coordination que pratique un système répressif international engageant
gouvernements, services de renseignements et unités opérationnelles de
l’armée. Nous avons là affaire à un véritable cartel de la terreur
officielle mis en place par les détenteurs du monopole de la répression- Etats
et organisations internationales- dans le but d’étouffer les mouvements
pacifiques de solidarité avec le peuple palestinien qui émergent un peu
partout dans le monde afin de mettre fin au blocus de Gaza.
Nul doute que ces Etats partagent avec Israël ce
crime commis contre le peuple palestinien et ses droits ainsi que contre les
personnes qui lui sont solidaires. Mais en dépit de ces développements, une
donnée essentielle émerge : alors même que se déployait sur les plans
militaire, judiciaire et ouvertement terroriste l’opération de sabotage visant
à empêcher les navires de prendre la mer, au début de juillet 2011, Gaza
l’assiégée incontestablement gagnait en liberté. C’est le sentiment qui
prévaut parmi nous, nous les combattants de la liberté détenus dans les
prisons israéliennes, le sentiment que, grâce à Flottille et à la dynamique
qu’elle a suscitée, la liberté est plus proche que jamais.
Ce qu’il faut retenir ici est l’influence et la
force du mouvement populaire mondial de solidarité avec le peuple palestinien,
en particulier le mouvement « Free Gaza » pour briser le blocus. C’est grâce à
cette influence et à cette force toujours grandissantes qu’apparaît maintenant
le visage véritable de ces Etats et régimes complices du terrorisme israélien.
Que ces Etats et régimes soient désormais contraints de déployer au grand jour
leur arsenal guerrier et répressif contre les mouvements solidaires du peuple
palestinien est signe clair que le blocus de Gaza est plus fortement secoué
que jamais depuis sa mise en place.
Nous devons noter que les parties- Etats
et régimes, sans oublier le Secrétaire Général de l’ONU lui-même ! - qui ont
exprimé leur hostilité à l’égard de la Flottille de la Liberté sont celles-là
mêmes qui ont condamné les mouvements de masse des réfugiés lors de la
commémoration de la Nakba, le 15 mai 2011, et de la Naksa, le 5 juin.
Ces réfugiés qui manifestaient la volonté de retourner dans leur patrie - leur
droit inaliénable et internationalement reconnu- ont été accusés par ces
parties de provocation à l’égard d’Israël, ce régime fondé sur la conquête
militaire, l’exode forcé et la purification ethnique ! Mais dans tout cela, ce
qui apparaît nettement est l’aggravation, à un niveau jamais égalé auparavant,
de la crise d’Israël, crise dont la lame de fond n’est autre que la question-
qui ne cesse de prendre de l’ampleur au sein du mouvement populaire mondial-
de la légitimité même d’Israël en tant que régime colonialiste et
raciste.
Une évolution importante marque le présent élan
de solidarité populaire mondiale avec le peuple palestinien et pour la
consolidation du droit palestinien, c’est que désormais, de nombreux militants
sont prêts à payer un prix très élevé pour leur engagement et à affronter les
dangers que comporte l’affrontement avec Israël et ses complices parmi les
Etats et régimes. Malgré ces dangers, cet élan populaire international ne
cesse de s’étendre et de gagner en détermination, acculant Israël et lui
arrachant chaque jour un lambeau de la légitimité dont il se pare.
Cette solidarité, digne de la plus haute estime,
est mouvement des peuples, mouvements populaires de toutes les parties du
monde qui considèrent que dans le combat inégal entre l’oppresseur et
l’opprimé, leur place est d’être, de façon active et concrète aux côtés de ce
dernier, aux côtés des victimes de la conquête militaire, de la répression,
des détentions de masse et du racisme. Ce que l’attaque israélienne contre la
Flottille nous donne à voir de façon plus flagrante que jamais est que les
gouvernements complices n’hésitent pas à employer leur influence politique et
diplomatique, leurs services de renseignements, leurs appareils judiciaires
ainsi que leurs unités militaires spéciales afin d’accroître l’inégalité du
rapport de force au profit d’Israël et au détriment des droits du peuple
palestinien et des mouvements qui le soutiennent.
Que ce système mondial de terreur officielle
s’affiche ouvertement en assignant un rôle précis à chacune des forces, Etats
et gouvernements, qui le composent signifie que dans cette vision, les peuples
ne comptent plus et que seuls comptent les structures internationales
dominantes d’intérêts et les pouvoirs en place.
L’Union Européenne s’est employée à
discréditer la Flottille de la Liberté et à s’attaquer à sa légitimité mais il
faut dire, et il n’y a rien d’étonnant à cela, que l’administration américaine
l’avait précédée dans cette basse manoeuvre. Le pire, cependant
devait venir de la Grande-Bretagne qui a pris la décision politique d’arrêter
Cheikh Raed Salah, l’un des plus grands dirigeants du peuple palestinien et
dirigeant du mouvement mondial contre le blocus de Gaza. La campagne de
calomnies qui a accompagné son arrestation, qui n’est rien d’autre que reprise
grossière de la propagande israélienne dirigée contre cet homme et ce qu’il
représente, montre l’étendue de la compromission - voire de la soumission - de
ces milieux au gouvernement israélien et au lobby sioniste
En arrêtant le Cheikh Raed Salah, la Grande
Bretagne a offert à Israël la possibilité de pervertir et de détourner à son
profit un des moyens d’action de la société civile mondiale et, pour ce pays
ci, le recours aux tribunaux britanniques pour poursuivre et arrêter les
criminels de guerre israéliens, généraux et personnalités politiques. Pour
rappel, quand, il y a quelques années, le Centre Palestinien des Droits de
l’Homme, dans une action menée avec des parties solidaires britanniques,
obtint de ces tribunaux un arrêt ordonnant l’arrestation du général Doron
Almog pour sa responsabilité dans l’assassinat du martyr Salah Shehade et de
treize membres de sa famille à Gaza, les autorités britanniques distillèrent
l’information à l’ambassade israélienne et à Doron Among lui-même, ce qui
permit à celui-ci de fuir le territoire britannique et d’échapper à la justice
de ce pays.
Ainsi, le recours à la justice qui était pour les
victimes de l’occupation, du racisme et du colonialisme un lieu où leurs
droits pouvaient être entendus est devenu pour les occupants et les criminels
de guerre moyen de pousser encore plus loin l’oppression de ces mêmes victimes
et cela, en utilisant non seulement leurs lois mais aussi celles qui ont cours
dans les pays dont les gouvernements sont complices des crimes
israéliens.
La Grèce, qui est liée à Israël par un
système de coopération militaire et sécuritaire en plein développement
incluant des manœuvres conjointes, a engagé une opération militaire utilisant
ses forces spéciales dont les commandos navals pour immobiliser la Flotte, y
compris en recourant aux explosifs pour détruire les moteurs des navires. Dans
le même temps, elle ne s’est pas privée d’actionner ses appareils judiciaires
afin de donner un semblant de légalité à son recours à la force militaire
brute pour empêcher la Flottille de prendre la mer pour Gaza. A la
gloire de cette force militaire hautement louée par Israël, le blocage des
navires au port, le sabotage de leurs moteurs et l’opération d’arraisonnement
en pleine mer suivie d’un retour forcé au port.
Par ailleurs, Chypre a annoncé sa
décision d’interdire aux navires de la Flottille de mouiller dans ses eaux
territoriales alors que la Turquie a fait preuve d’une attitude moins
qu’honorable. On sait que les explosions qui ont touché un des navires de la
Flottille ont eu lieu dans ses eaux territoriales mais il y a pire que cela :
elle a interdit au Mavi Marmara, ce symbole de la solidarité avec Gaza qui
porte encore les traces de la sanglante attaque israélienne, de rejoindre la
Flottille de la Liberté.
Encore une fois, nous constatons la pitoyable
veulerie de la position officielle palestinienne, celle de l’ Autorité
Palestinienne et de l’ OLP lesquelles, face à ce crime commis par Israël et de
nombreux autres Etats, n’ont pas trouvé mieux que de se dérober à leur rôle de
partie essentielle dans le conflit avec Israël pour assumer celui de « partie
tierce ». Il faut aussi noter que durant ces évènements, la
coopération sécuritaire de l’Autorité Palestinienne avec Israël ne s’est pas
relâchée ni même été mise en question un seul instant.
Nous avouons que nous attendions plus de l’Egypte
révolutionnaire. Cet Etat à vocation de puissance régionale avait la
possibilité d’offrir, à la Flottille de la Liberté, accueil dans ses ports et
protection lors de son départ vers Gaza, car son littoral et ses eaux
territoriales sont plus proches de Gaza que ne l’est cette dernière
d’Israël. L’Egypte s’est abstenue d’offrir à la Flotte un tel soutien,
car avec son régime actuel, elle accepte encore de subir ce siège mis en place
autour d’elle et autour de la Palestine par les accords de Camp
David). Nous devons reconnaître que l’Egypte révolutionnaire a
ré-ouvert le passage de Rafah, un pas extrêmement important mais nous pensons
que quand on est capable d’ouvrir Rafah, on est également capable de protéger
la Flottille de la Liberté.
L’ouverture du passage de Rafah est chose
extrêmement positive mais elle ne met pas fin au blocus ni ne suffit à le
briser. Nous devons aussi noter que l’Egypte, l’Autorité Palestinienne et la
Jordanie poursuivent toujours leur coordination sécuritaire avec Israël et
cela est extrêmement dangereux, car en fin de compte, ceux qui sont encerclés,
ce sont le peuple palestinien, les peuples arabes et la souveraineté arabe,
spécialement celle de l’Egypte.
Tous ces évènements nous apprennent
malheureusement que les révolutions arabes ont encore du mal à traduire leur
élan sur le plan des responsabilités régionales. Que l’Union Européenne, la
Grèce , la Grande Bretagne ou encore Chypre manifestent de façon aussi
insolente et brutale leur hostilité à l’égard de la Flottille de la Liberté, à
l’égard du mouvement contre le blocus imposé à notre peuple n’est que la
conséquence de ce déficit au plan régional. Il est vital que les forces
populaires et politiques, précisément celles de l’Egypte, prennent conscience
de ce déficit.
Israël que nous connaissons bien, s’était préparé
à perpétrer une boucherie contre les membres du mouvement de solidarité en
lançant une campagne haineuse appelant à verser leur sang, en répandant des
mensonges éhontés sur eux et ce qu’ils sont, sur leurs intention et sur la
nature des biens qu’ils transportaient. En dépit de la grossièreté de
ces mensonges, mensonges dont sont conscients même leurs journalistes les plus
connus, les médias aux ordres d’Israël ont continué à les diffuser comme s’ils
étaient détenteurs d’un dossier de « preuves »- un dossier qui n’existe
pas.
Il est clair que les peuples et les mouvements
solidaires du peuple palestinien, très nombreux dans le monde, ne se soucient
que très peu de l’impact des médias israéliens mais nous devons reconnaître
qu’Israël a bien retenu le sens des signaux qu’elle a reçus après son attaque
sanglante contre la Flottille de la Liberté en juin 2010 : désormais, elle
redoublera d’actions criminelles. Et cette fois-ci, comme l’action de
sabotage de la flottille a été essentiellement commise par des Européens, des
Grecs, des Chypriotes, des Américains etc., elle n’est que tentative de
blanchiment du crime qui, dans le cas où elle est couronnée de succès selon
les critères de ceux qui l’ont perpétrée, ne manquera pas de se répéter à
l’avenir.
Pour résumer, nous énumèrerons quelques points
qui méritent spécialement d’être soulignés.
Premièrement : le dévoilement au grand jour de la
nature de l’ordre mondial officiel lequel opère son passage du terrorisme
pratiqué par un seul Etat à un terrorisme qui est le fait d’un système
engageant plusieurs Etats dans une organisation et une coordination inédites.
Nous pouvons dire que cet ordre mondial a désormais adopté le terrorisme
-incluant, sans se limiter à cela, l’usage de l’institution militaire - comme
moyen de lutte contre les mouvements populaires de solidarité qui agissent
dans le cadre de la légalité internationale et des Droits de l’Homme.
Deuxièmement : l’importance cruciale de
l’extension des mouvements de solidarité , importance dont la prise en compte
doit se traduire, dans l’action militante palestinienne, par plus d’échanges
et de coordination avec ces mouvements. Ceux-ci, en effet, constituent pour
notre peuple et sa cause une véritable ligne de défense mondiale. Dans ce
contexte, une campagne mondiale s’appuyant sur les lois et conventions
internationales pertinentes doit se faire afin d’assurer la protection de ces
mouvements car leur combat vise la promotion des Droits de l’Homme et les
Droits des Peuples.
Troisièmement : la nécessité d’œuvrer en vue de
redonner à la cause palestinienne la place qui lui revient dans les
révolutions arabes et, en particulier, en Egypte. Dans ce contexte, il faut
agir en vue de promouvoir des mécanismes permettant à l’opinion arabe d’être
plus réactive et dans le même temps plus présente en tant que force face aux
évènements mondiaux.
Quatrièmement : l’exigence que cesse de façon
définitive la coordination sécuritaire de l’Egypte, de la Jordanie et de
l’Autorité Palestinienne avec Israël, exigence qui va doit s’accompagner d’une
pression sur le régime égyptien afin qu’il se libère des accords de Camp
David, ces accords qui ont gommé la dimension arabe de l’Egypte et exclu
celle-ci de la confrontation avec Israël.
Cinquièmement : la préparation de la prochaine
Flotte de la Liberté, préparation qui doit bénéficier des enseignements tirés
l’expérience de la dernière Flotte, parmi lesquels la nécessité de démanteler
le cordon sécuritaire que s’est donné Israël grâce aux Etats hostiles
mentionnés plus haut.
Nous avons dans ces évènement des leçons
précieuses mais la grande vérité qui émerge est que la Flottille de la Liberté
est arrivée à Gaza sans même quitter les quais et que Gaza, comme toute la
Palestine, a trouvé son chemin vers le cœur des peuples du monde, Là est le
meilleur fruit de la lutte de notre peuple et de ses amis dans le monde.
* Ameer Makhoul est prisonnier politique
dans l’Etat d’Israël. Responsable associatif et politique, il a été arrêté le
6 mai 2010, suite à une descente nocturne à son domicile familial, à Haïfa,
opérée par divers services sécuritaires israéliens. Condamné à 9 ans de prison
ferme, suite à des « aveux » arrachés par la torture physique et morale, Ameer
n’a cessé de proclamer que son arrestation et détention sont politiques et
visent à décapiter la direction politique et civile des Palestiniens de
48.
Articles liés :
Les commentaires sont fermés.